11 Oct 2018
Lecture 10 min
Santé humaine

Sucrage des yaourts : les comportements des Français

comportements alimentaires français yaourts sucrés sucre Consommation sucres ajoutés
Articles similaires
Voir plus
Nos ressources
Table des matières
Table des matières

En France, les consommateurs achètent plus de yaourts nature que dans d’autres pays, mais dans la plupart des cas, ils y ajoutent du sucre ou d’autres produits sucrants. Deux études récentes se sont intéressées à leurs modalités de sucrage. Résultats : en moyenne, ils ajoutent un peu plus de sucres qu’il n’y en a dans les yaourts présucrés du commerce et ils sous-estiment cette quantité.

Les yaourts et autres laits fermentés sont parmi les produits laitiers frais les plus consommés dans le monde, mais avec des habitudes de consommation variant considérablement selon les pays. En France, l’achat de yaourt nature est particulièrement élevé par rapport aux autres pays et représente 40 à 50 % des ventes de yaourts. Parmi les consommateurs de yaourt nature, environ deux tiers y ajoutent des agents sucrants, principalement du sucre en poudre (67 %), de la confiture ou du miel (21 %) ou encore des édulcorants (9 %). Des chercheurs de l’Université de Paris-Saclay ont réalisé une étude observationnelle, puis une étude quantitative publiée en 2016, ayant pour objectifs d’acquérir une meilleure compréhension des comportements de sucrage, d’explorer les déterminants sensoriels liés à l’ajout d’agents sucrants dans le yaourt et de connaître la quantité de sucres ajoutés par les consommateurs.

Des études contextualisées

Afin de se rapprocher des conditions de consommation réelles, les études ont été conduites à la fin d’un repas, moment où le yaourt nature est le plus souvent consommé en France.

Une première étude observationnelle a été réalisée sur 70 consommateurs (étudiants volontaires du campus d’AgroParisTech). Ces derniers ont été invités à consommer un repas contenant un yaourt nature dans un home-lab équipé de caméras vidéo et aménagé en cuisine domestique avec une table de salle à manger. Les repas ont été pris en groupe de deux à dix personnes souhaitant déjeuner ensemble. Suite à un menu (entrée, plat) choisi parmi différentes propositions, un yaourt nature « standard » (ferme ou brassé) était proposé à chaque participant, ainsi que du sucre en poudre présenté dans son emballage d’origine, pouvant être utilisé librement pour sucrer ce yaourt. À la fin du repas, un questionnaire a été remis aux participants, afin d’identifier les motivations de leur comportement de sucrage et ses modalités.

Pour la seconde étude, quantitative, 199 adultes consommateurs réguliers de yaourt nature et ayant l’habitude d’ajouter du sucre en poudre, du miel ou de la confiture, ont été recrutés par des questionnaires en ligne et téléphoniques. Les volontaires ayant un indice de masse corporelle (en kg/m²) inférieur à 19 ou supérieur à 28 ont été exclus de l’étude, de même que ceux qui ajoutent régulièrement des édulcorants intenses à leurs yaourts. L’objet de l’étude n’était pas révélé. Les participants ont pris un repas personnalisé (déjeuner ou dîner) dans une cabine sensorielle individuelle standardisée. Le repas se terminait par un yaourt nature servi dans son emballage d’origine et un agent sucrant était proposé, également dans son emballage d’origine. Les composantes du repas étaient choisies par les participants eux-mêmes sur la base d’un choix d’entrées et de plats principaux de densités caloriques équivalentes. Le type de yaourt nature (brassé ou ferme, « yaourt au bifidus » ou non) ainsi que l’agent sucrant proposés à chaque participant correspondaient à ceux habituellement consommés. La quantité d’agent sucrant ajoutée a été mesurée indirectement et à l’insu des participants, par différence de poids du contenant avant et après utilisation. Lors du recrutement, les participants ont été questionnés sur l’image qu’ils ont des yaourts en général  (bénéfice sur la santé, appréciation du goût…). Durant le test, ils ont évalué leurs niveaux de sensation de faim, de soif et d’énergie subjective et ils ont estimé la quantité consommée de chaque plat. Cette approche a été utilisée pour détourner l’attention du sucrage du yaourt et minimiser les risques de biais de réponse. 

Une diversité des comportements de sucrage

Au cours de l’étude d’observation, la majorité des participants a ajouté le sucre en une seule  fois (52 %). Mais d’autres (15%), ont goûté leur yaourt avant ou après un premier sucrage et l’ont adapté si nécessaire à leur propre référent idéal, montrant le lien entre les propriétés sensorielles du produit consommé et la quantité de sucres ajoutés. Les deux principales raisons conduisant à l’ajout de sucre étaient des critères sensoriels : « atténuer le goût acide du yaourt » (62 % des participants) et « finir le repas par un goût sucré » (55 %). Certains participants recherchaient également la texture croquante du sucre, ce qui justifie d’en ajouter plusieurs fois dans le yaourt.

Cette première étude apporte des éléments pouvant expliquer les fortes différences de quantité de sucres ajoutés.

Plus de sucres ajoutés que dans les yaourts du commerce

Les agents sucrants utilisés dans l’étude quantitative, sucre blanc ou brun, miel, confiture de fraise ou d’abricot, ayant des teneurs en sucres différentes, la quantité d’agent sucrant ajoutée par chaque participant a été convertie en une quantité équivalente de saccharose grâce à la table de composition du Ciqual ou à l’étiquetage des produits.

La quantité de sucres ajoutés diffère fortement entre les participants (Figure 1) :

  • Elle est en moyenne de 13,6 g, supérieure à celle des yaourts présucrés du commerce en France (10,2 g de sucres ajoutés par 125 g de yaourt) et plus proche de celle des yaourts « gourmands » (yaourts ayant une teneur totale en matières grasses supérieure à celle du lait entier et contenant en moyenne 13,3 g de sucres ajoutés par 125 g).
  • Elle n’est pas affectée par le type de yaourt consommé : standard, au bifidus, marque nationale ou marque distributeur, ferme, brassé. En revanche, elle est significativement plus élevée lors des dîners (+29 %) que lors des déjeuners.
  • Elle est fortement dépendante du type d’agent sucrant utilisé. Elle est significativement plus élevée pour les participants ayant utilisé de la confiture (n 36) : 24,4 g de sucres ajoutés, soit 40,6 g de confiture, comparés à ceux qui ont utilisé du sucre en poudre (n = 134) :  11 g ou du miel (n = 29) : 12,1 g, soit 15,8 g de miel. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce résultat : il se peut que les participants n’aient pas conscience des teneurs réelles en sucres de la confiture ou encore qu’ils aient ajouté de la confiture en grande quantité pour mieux percevoir le goût du fruit.
  • Elle est significativement influencée par des paramètres socio-démographiques. Les participants âgés de plus de 65 ans ont ajouté plus de sucres (+ 35,4 %) que ceux de 50 à 64 ans. Les participants des catégories socioprofessionnelles (CSP) moyennes et inférieures ont eu tendance à ajouter plus de sucres (+ 18,9 %) que ceux de la CSP supérieure. Enfin, les participants ayant un indice de masse corporelle (IMC) de 22 et plus ont ajouté davantage de sucres (+ 22,8 %) que ceux ayant un IMC inférieur à 22.
  • Elle varie avec les attitudes de consommation des participants. Ces derniers ont été segmentés en trois groupes de taille égale en fonction de la quantité de sucres qu’ils ont ajoutée au yaourt : un groupe de « petits sucreurs » (moins de 8,4 g de sucres ajoutés par pot), un groupe de « moyens sucreurs » (entre 8,4 et 14,1 g de sucres ajoutés par pot) et un groupe de « grands sucreurs » (plus de 14,1 g de sucres ajoutés par pot). Les « petits sucreurs » sont plus nombreux à être moins motivés par le plaisir de manger et à avoir un IMC inférieur à 22. Ils ont tendance à contrôler leur consommation de sucres et pour eux, les yaourts aromatisés ou aux fruits du commerce sont plutôt trop sucrés. A l’opposé, les « grands sucreurs » sont plus nombreux à avoir un IMC plus élevé. Ils cherchent davantage la satisfaction et à combler une « envie soudaine » par la consommation de yaourt. Ils sont plus nombreux à avoir utilisé de la confiture et à avoir sucré leur yaourt en plusieurs fois.
Distribution des consommateurs en fonction de la quantité de sucres ajoutés dans 125 g de yaourt.
Fig 1. Distribution des consommateurs en fonction de la quantité de sucres ajoutés (miel, confiture et sucre) dans 125 g de yaourt. Abréviation : moy : moyenne

Une sous-estimation de la quantité de sucres ajoutés

sucrage des yaourts

Dans l’étude quantitative, à la fin du repas, les participants ont été invités à estimer la quantité de sucres qu’ils avaient ajoutée à leur yaourt en nombre de cuillères à café. En moyenne, ils ont sous-évalué de moitié la quantité de sucres ajoutés : 6,85 g par pot versus 13,6 g. Les consommateurs semblent donc avoir du mal à évaluer la quantité de sucres qu’ils ajoutent à leur yaourt. Malgré cette mauvaise auto-estimation quantitative, les participants ont correctement apprécié la quantité de sucres qu’ils avaient ajoutée par rapport à celle des yaourts déjà sucrés du commerce. Une large majorité des « petits sucreurs » pense moins sucrer leurs yaourts que les yaourts sucrés du commerce, contrairement aux « moyens » et « grands sucreurs », qui estiment les sucrer en quantité équivalente. Les « grands sucreurs » sont plus nombreux à penser les sucrer davantage que les yaourts du marché (Figure 2). 

Perception de la saveur sucrée du yaourt consommé
Figure 2 : Perception de la saveur sucrée du yaourt consommé pendant l’expérimentation relativement aux yaourts sucrés du commerce. Pourcentage de participants ayant répondu à la question suivante : « Lorsque vous ajoutez du sucre dans votre yaourt nature, diriez-vous que celui-ci est finalement… » (une seule réponse possible).

 

Conclusion

L’ajout d’agent sucrant augmente la palatabilité et l’appréciation du yaourt et serait donc en faveur d’une consommation plus régulière de ce type de produits. Néanmoins, afin de préserver l’intérêt nutritionnel des yaourts nature « sucrés maison », dans la mesure où des recommandations incitent à limiter l’apport de sucres, il est important que les consommateurs apprennent à contrôler la quantité ajoutée.

Références

Pour en savoir plus, lisez l’article original :

Saint-Eve A., Mabille A-C., Delarue J. Sucrage des yaourts : diversité des comportements et impact sur les apports en sucres. Cahiers de Nutrition et de Diététique. 2017 ; 52 (S1) : S81-S86