Fanny Paris est attachée de recherche clinique et travaille à développer les connaissances sur l’estimation du risque individuel de complications cardiaques. Précédemment, elle a exercé en tant que diététicienne, dans des contextes variés, depuis le service de diabétologie et d’endocrinologie d’un hôpital, jusqu’au centre de rééducation pour les patients en soins de suite.
Elle s’intéresse de près à l’actualité scientifique, plus spécifiquement l’épidémiologie, l’environnement, l’épigénétique et le microbiote intestinal. Forte de sa riche expérience, nous lui avons demandé de partager son avis sur le yaourt.
Que recommandez-vous à vos patients pour la couverture de leurs besoins en calcium ?
« Chez l’adulte et l’enfant de 7 à 9 ans les besoins sont de 900 mg /jour. Ils sont de 1200 mg pour les enfants et adolescents de 10 à 19 ans, les femmes enceintes et les personnes âgées. Ils sont également revus à la hausse chez la femme ménopausée. C’est donc un élément important à apporter suffisamment par son alimentation.
Dans les habitudes alimentaires françaises, les premières sources de calcium sont les produits laitiers. Ce qui est intéressant avec ces exemples, c’est de prendre l’aliment dans son intégralité, de tenir compte de ce que l’on appelle la matrice des aliments. Ensuite, il faut aussi le prendre dans le bol alimentaire.
Classiquement, on peut les répartir dans la journée avec un bol de lait demi-écrémé (250mL) le matin, une portion de 30 à 40g de fromage le midi et deux yaourts (déjeuner, dîner, collation).Le calcium du lait et des produits laitiers est celui qui est le mieux absorbé de tous les aliments. Le reste de l’alimentation complétera les apports, notamment l’eau. Si vous choisissez une eau magnésienne et calcique, comme je le recommande notamment aux femmes ménopausées, vous êtes sûrs d’avoir le compte en fin de journée !
Des repas complets avec des produits laitiers sont ainsi l’assurance de couvrir ses besoins mais la collation est également un moment opportun. Il y a un double intérêt de la collation avec les produits laitiers : l’apport en calcium et protéines d’une part, l’hydratation d’autre part. Je pense ici aux personnes qui travaillent par quart ou prennent leur poste très tôt le matin. J’ai travaillé par exemple avec beaucoup de chauffeurs de bus. Ils travaillent soit jusque tard le soir, soit très tôt le matin. Leur alimentation est souvent désynchronisée. En plus de couvrir leur besoin en calcium, un ou deux yaourts apporteront des protéines d’excellentes qualités. Celles-ci vont permettre, dans les heures qui suivent l’ingestion, une meilleure concentration et une satiété prolongée, deux éléments très importants quand on travaille de nuit. »
On voit en ce moment de plus en plus d’articles remettre en cause les bienfaits du yaourt. Pourtant on constate que nutritionnistes et diététiciens encouragent sa consommation. Pourquoi le yaourt devient-il un produit décrié alors que la littérature scientifique a prouvé ses bienfaits ?
« Nous sommes passés d’une ère où la parole scientifique était respectée, incontestable (à plus ou moins juste titre) à une ère où une boîte numérique va répondre à toutes vos questions via un moteur de recherche, laissant la porte grande ouverte à toutes les inepties concevables et même inconcevables. Les réseaux sociaux sont les nouveaux outils de (dés)information de masse de jeunes qui ne vont plus questionner des personnes repères ou des dictionnaires. Et c’est par ce biais que s’est répandue cette vague végétale, allant du végétarisme presque traditionnel au veganisme le plus extrémiste. Sans être anti-végétal (loin de là), il faut noter que cela influence les consommateurs.
Dans cette course à l’info permanente, c’est au journal qui fera le buzz du jour, quitte à relater une nouvelle découverte pseudo-scientifique dont le journaliste aura tôt fait de sortir une phrase de la conclusion de l’étude. Nous sommes dans un système où l’on entend en premier lieu ceux qui parlent fort. Mais souvent ce sont les dérives extrêmes que l’on entend et que l’on retient. En ce qui me concerne, je trouve qu’il est important d’être raisonnable et mesuré. Aujourd’hui, on n’entend plus la notion d’équilibre qui est absolument nécessaire dès lors qu’on parle d’alimentation.
Il faut ajouter à cela le dérèglement climatique qui est un problème majeur. Une prise de conscience collective et citoyenne en est née.
Et l’on a entendu les pouvoirs publics nous recommander de diminuer notre consommation de viande rouge au profit du végétal, tant pour les risques de cancer que pour l’environnement. Certes. L’impact s’est traduit sur les produits laitiers par voie de conséquence car issus de l’élevage.
Parallèlement, les détracteurs du lait ont augmenté le son de leur diffusion. Ce sont des pionniers de la désinformation et des lectures à libre interprétation des articles scientifiques.
Mes propos sont appuyés par les divers rapports de consommation des français par tranches d’âges mais aussi par des lectures d’articles de blog ou autres écrits par les détracteurs du lait et sympathisants. En ressort une méconnaissance de l’anthropologie, des études scientifiques rigoureuses et solides, de l’épidémiologie française et étrangère (notamment chinoise), des connaissances nutritionnelles, techniques telles qu’abordées par l’INRA, l’Inserm, le réseau Nacre etc…
Voilà pourquoi, selon moi, le yaourt est décrié et connaît une baisse de popularité. »
En tant que diététicienne, quels avantages associez-vous à la consommation d’aliments fermentés ? Est-ce que vous encouragez leur consommation ?
« L’un des premiers bienfaits de la fermentation est d’augmenter la digestibilité des aliments. Ainsi, elle augmente la biodisponibilité des vitamines, minéraux et oligo-éléments.
En fait, les produits transformés par la fermentation bénéficient, à la base, d’un ensemencement en micro-organismes. A l’issue de cette fermentation et transformations, certains de ces aliments ne comportent plus de micro-organismes vivants. C’est le cas du pain, du cidre, de la bière ou encore du vin*. D’autres, à l’inverse, en ont. C’est notamment le cas des légumes fermentés en bocaux, du kéfir, des fromages à pâtes bleus, des fromages types camembert et aussi du yaourt. Et cette flore probiotique n’est pas inactive, loin de là ! Ce sont par exemple les penicilliums des fromages bleus qui apportent de la vitamine K au produit. J’ai eu l’occasion, dans mon expérience, de me rendre compte que cet exemple des fromages bleus est une image que les gens comprennent bien. Il est possible sur cette base d’expliquer les bienfaits de la fermentation et de donner d’autres exemples. En matière d’appropriation par les gens, je trouve très intéressant le fait que beaucoup se lancent dans la production maison de produits fermentés, dès lors que les conditions de sécurité sanitaires sont respectées. On trouve par exemple beaucoup de tutoriels pour faire son yaourt ou son kéfir sur youtube(r). Néanmoins cela ne dispense pas de faire attention au taux de sucre ajouté ! Je me souviens d’une patiente qui était très heureuse de me dire qu’elle faisait ses yaourts mais en écoutant sa recette, j’ai été surprise. Un de ses yaourts apportait 30 grammes de sucres !
Pour les yaourts, les bénéfices de la fermentation sont fonction de l’augmentation de la diversité du microbiote intestinal. Ces effets ont été démontrés dans de nombreuses études sérieuses, surtout le rôle anti-inflammatoire (syndrome métabolique, obésité…). Les probiotiques agissent sur le microbiote mais sans s’y implanter. L’apport doit donc être renouvelé et quotidien. Les produits laitiers fermentés via le microbiote permettent ainsi une meilleure digestion du lactose, une gestion du poids plus efficiente, la diminution du risque de développer un diabète de type 2, l’abaissement du risque de pathologies cardio-vasculaires.
Et il y a encore un autre atout à la fermentation du yaourt : la teneur en antioxydants. De ce point de vue, il est intéressant de noter qu’on a souvent tendance à vouloir aller chercher des ressources antioxydantes dans des produits exotiques. Or notre terroir regorge de ressources riches. L’INRA avait ainsi publié un dossier extrêmement intéressant sur le triptyque français pain, fromage, vin, en démontrant l’intérêt scientifique de cette habitude alimentaire. La teneur en antioxydants est variable selon la matrice et les procédés techniques utilisés. Dans le lait, les antioxydants sont ceux de la fraction protéique, les enzymes (dont la fameuse superoxyde dismutase), la lactoferrine, les vitamines, certains acides gras et caroténoïdes…
Dans le yaourt, l’ajout de probiotiques augmente cette capacité antioxydante par l’activité protéolytique des bacilles qui libèrent les peptides bioactifs, enzymes et autres composés. Lactobacillus casei et L. acidophilus sont ceux qui ont le potentiel antioxydant le plus élevé. L’effet synergique de plusieurs probiotiques a donc un effet fantastique sur le microbiote et sur la santé générale.
Ces produits sont donc plus qu’à encourager ! Et surtout, je précise bien aux patients de ne pas jeter le liquide qui est sur le dessus du yaourt : c’est une mine d’or lactée »
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* l’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération