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Dans ce troisième post de la série sur l’alimentation durable, nous nous concentrons sur la production alimentaire et sur les mesures nécessaires pour la transformer afin qu’elle subvienne aux besoins d’une population mondiale croissante tout en protégeant à la fois notre santé et notre environnement.
Qu’est-ce qui doit changer dans la production alimentaire pour nous aider à parvenir à une alimentation durable?
Nourrir la population mondiale en croissance nécessitera des changements importants dans la façon dont nous produisons nos aliments, notamment en raison des contraintes imposées par le changement climatique.
La reconnaissance de cette nécessité incite à des recherches novatrices ouvrant la voie à une transformation de la production alimentaire. Celle-ci permettra non seulement de nourrir la population mondiale croissante mais constituera également une opportunité majeure d’améliorer la santé humaine.
Dans le même temps, les nouvelles approches du système de production alimentaire durable doivent nous placer sur une bonne voie pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris de 2015 qui visent à freiner le changement climatique en limitant le réchauffement mondial à moins de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels et en limitant l’augmentation à 1,5°C.
Pour atteindre cet objectif climatique, notre agriculture mondiale doit passer d’un producteur de gaz à effet de serre majeur à un producteur qui capte les gaz à effet de serre en faisant office de puits pour les émissions de carbone, de la même façon que nos forêts soulagent la pression sur l’environnement en piégeant et en stockant le gaz carbonique.
Notre système alimentaire doit également réaliser la transformation urgente nécessaire pour conserver et utiliser la nature de façon durable, en stoppant le déclin alarmant de la biodiversité mondiale, qui a un impact profond sur la population mondiale, comme le souligne un rapport international de référence publié en 2019.1
Avec ces objectifs, les scientifiques tentent de concevoir une agriculture efficace et éco-responsable qui réduit les conséquences sur nos ressources limitées en terre et en eau tout en assurant la couverture de nos besoins nutritionnels et de santé croissants. Ils ont apporté des éclairages importants pour trouver la meilleure voie.
« L’agriculture est confrontée à un double défi majeur, nourrir une population mondiale toujours plus nombreuse et toujours plus aisée tout en réduisant dans le même temps son impact environnemental négatif. » – Karlsson et al, 20182
Quels sont les défis à relever dans la production alimentaire ?
Le défi majeur consiste à trouver un équilibre entre la couverture des besoins nutritionnels croissants pour les 10 milliards d’habitants de la Terre à l’horizon 2050 et l’impact environnemental de notre production alimentaire, actuellement tout à fait négatif.
L’agriculture peut perturber l’environnement car elle s’étend à d’autres écosystèmes, détruisant les habitats naturels d’espèces sauvages avec des effets néfastes sur la biodiversité, une dégradation des sols et une réduction des stocks de carbone, lors du défrichage et du brûlage des forêts, par exemple. À mesure que l’agriculture s’intensifie, elle consomme davantage d’énergie, d’eau et de produits chimiques tels que les engrais, les pesticides et les herbicides, entraînant une pollution de l’eau.3
En raison de ces activités humaines, plus d’un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction, nombre d’entre elles au cours des prochaines décennies, à un rythme jamais connu auparavant dans l’histoire humaine.1 Ces espèces constituent les écosystèmes dont les populations mondiales dépendent pour leur nourriture et pour leur vie.
Qu’est-ce qui doit changer pour parvenir à une production alimentaire plus durable ?
Les principaux changements nécessaires pour améliorer l’empreinte environnementale de notre production alimentaire sont résumées par la commission EAT-Lancet ainsi que par la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les écosystèmes et par d’autres études scientifiques récentes visant à identifier les régimes alimentaires sains et la production alimentaire durable.1,4
À titre d’exemple, la commission EAT-Lancet considère que notre production alimentaire devrait :4
- Ne pas utiliser plus de terres qu’elle ne le fait actuellement,
- Préserver la biodiversité existante,
- Réduire l’utilisation de l’eau et gérer l’eau de manière responsable
- Réduire substantiellement la pollution à l’azote et au phosphore (provenant de l’utilisation d’engrais),
- Générer zéro émission de dioxyde de carbone,
- Ne causer aucune augmentation supplémentaire des émissions de méthane et de protoxyde d’azote.
Une étape clé sera de nourrir la population mondiale grâce aux seules terres agricoles existantes, recommande la commission EAT-Lancet. Cela signifie de stopper l’expansion des terres agricoles de telle sort qu’elle cesse de détruire les forêts et d’autres écosystèmes naturels. En plus de limiter l’utilisation des pesticides, la préservation de ces environnements naturels est essentielle pour maintenir la biodiversité déclinante de notre planète.1
Les océans doivent également être gérés afin de s’assurer qu’il y aura suffisamment de poissons dans la mer pour nourrir les générations futures, indique la commission EAT-Lancet.4
L’agriculture doit utiliser les terres plus efficacement, avec une meilleure utilisation des engrais et de l’eau. Actuellement, selon le Fonds mondial pour la nature (World Wide Fund for Nature, WWF), 70 % de l’eau douce disponible est utilisée pour l’irrigation agricole, ce qui a un impact majeur sur la disponibilité et la qualité de l’eau.5
Le rapport de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les écosystèmes recommande une approche intégrée pour résoudre les problèmes, préserver les écosystèmes et nous permettre de bénéficier durablement de la nature.1
Les programmes de conservation, la protection des bassins hydrographiques et les incitations et sanctions pour réduire la pollution font partie des mesures nécessaires pour promouvoir de meilleures pratiques agricoles et une meilleure utilisation des ressources. Selon le rapport, les communautés locales et les peuples indigènes ont un rôle clé à jouer dans ces mesures.
Près d’un tiers des aliments produits actuellement est jeté. La commission EAT-Lancet recommande aussi de diviser au moins par deux les pertes alimentaires, ce qui va nécessiter des changements majeurs dans le stockage, le transport, la transformation et le conditionnement des aliments (notamment dans les pays à faible revenu) ainsi que l’information des consommateurs, des détaillants et des restaurateurs sur la façon de réduire leurs déchets alimentaires (notamment dans les pays à revenu plus élevé).4
Comment équilibrer l’impact environnemental des aliments que nous produisons et leurs bénéfices nutritionnels ?
Pour qu’un système alimentaire soit durable, il doit prendre en compte l’ensemble des impacts: nutritionnel, de santé, socioéconomique et environnemental, quatre dimensions étroitement liées.
La commission EAT-Lancet recommande de réorienter les priorités agricoles de manière à ce que nous produisions non seulement suffisamment de calories pour nourrir une population croissante mais également suffisamment de diversité pour une nutrition saine. Nous aurons besoin d’une diversité d’aliments à haute valeur nutritionnelle plutôt que de grandes quantités de quelques cultures seulement.4
« L’agriculture, la pêche et la pisciculture doivent non seulement produire suffisamment de calories pour nourrir une population mondiale croissante, mais aussi produire une diversité d’aliments qui favorisent la santé humaine et soutiennent la durabilité de l’environnement. » – EAT-Lancet, 20194
Les recommandations de la commission EAT-Lancet soulèvent des dilemmes et des controverses, concernant notamment l’élevage. La viande est associée à des émissions de gaz à effet de serre élevées et à l’utilisation de grandes quantités de terres, d’eau et d’engrais. Cela ne concerne pas uniquement les animaux eux-mêmes, mais aussi les aliments dont ils ont besoin. En Europe, par exemple, 58 % des céréales disponibles et 67 % des récoltes de protéines et d’oléagineux sont utilisées pour nourrir le bétail.6 Cependant, des études françaises ont mis en évidence que plus de 80% des protéines végétales consommées par les animaux ne sont pas consommables par l’Homme.
Mais de nombreux individus dans le monde, notamment les petits exploitants agricoles des pays à faible revenu, dépendent du bétail pour leur subsistance et en tant que source vitale de nutriments qu’ils auraient autrement du mal à se procurer via leur alimentation.
La production laitière, en particulier, est considérée comme un puissant moyen pour réduire la pauvreté rurale, notamment dans les pays à faible revenu.7 En conservant leurs vaches laitières, les populations, à travers le monde, peuvent bénéficier de la richesse en nutriments des produits laitiers et donc satisfaire leurs besoins nutritionnels plus aisément que si elles dépendaient uniquement de leurs cultures végétales.
La production animale doit clairement être considérée en fonction du contexte spécifique. Des études ont suggéré que le bétail, produit d’une façon durable et consommé en quantités raisonnables, peut procurer des bénéfices nutritionnels, écologiques et économiques. Ces études suggèrent qu’une production animale durable peut être obtenue en utilisant les pâturages qui ne le seraient pas pour la production agricole et en nourrissant les vaches avec les résidus de culture.
Comment une agriculture durable pourrait-elle fonctionner en pratique ?
Le rapport de la commission EAT-Lancet fournit des recommandations mondiales orientant vers une production alimentaire durable. Dans la pratique, cependant, les études suggèrent qu’une production alimentaire durable devrait différer d’une région à l’autre, reflétant le climat local, la géographie, la culture et l’économie.
Les scientifiques explorent les options, développant des modèles d’agriculture régénératrice qui préservent et renouvellent nos ressources tout en procurant un accès sûr et fiable à des aliments sains pour tous. Leur but est d’ouvrir la voie aux décideurs politiques et aux scientifiques pour qu’ils prennent des décisions éclairées afin de guider l’agriculture vers l’avenir.
Parmi ces études novatrices, on trouve un projet appelé Dix ans pour l’agroécologie en Europe (Ten Years for Agroecology in Europe, TYFA).6 Ce projet a modélisé une option possible pour un scénario d’agriculture écoresponsable pour l’Europe en 2050 et l’a comparé au système alimentaire européen d’aujourd’hui.
Le scénario TYFA abandonne les pesticides et les engrais de synthèse, arrête les importations massives d’aliments pour animaux (tels que le soja), re-déploie les prairies naturelles et étend l’utilisation de haies, d’arbres et de mares. Dans le même temps, le modèle suppose que les individus adoptent des alimentations saines, avec moins de produits d’origine animale et plus de fruits et légumes. Il autorise de gros volumes pour les animaux au pré, mais limite les porcs et les volailles qui sont principalement nourris avec des aliments importés. De ce fait, le régime alimentaire TYFA contient encore 100 g/jour de viande et l’équivalent de 300 g/jour de lait sous forme de produits laitiers.
Ce type d’agriculture écologique a tendance à être moins productive que les techniques agricoles actuelles en Europe. Elle est donc habituellement considérée comme incompatible avec une production suffisante pour nourrir la population mais prend néanmoins en compte le changement climatique.
Ce modèle a montré que, malgré une chute de 35 % de la production par rapport à 2010, il permettrait de :
- Répondre aux besoins alimentaires des Européens, tout en maintenant la capacité à exporter des céréales, des produits laitiers et du vin,
- Diminuer les émissions de gaz à effet de serre agricoles de 45 %,
- Contribuer à rétablir la biodiversité et à protéger les ressources naturelles.
Une autre étude a modélisé un scénario de système alimentaire durable pour la Norvège, la Suède, le Danemark et la Finlande.2 Issu d’un processus consultatif impliquant cinq organisations non gouvernementales (ONG) environnementales locales, le Future Food Vision for the Nordics est basé sur l’agriculture organique et la production alimentaire locale. Pour limiter la compétition directe entre aliments pour animaux et nourriture pour l’Homme, les animaux sont exclusivement nourris avec des résidus agricoles, sous-produits de la production alimentaire, pâturages et mélanges de graminées et de trèfles.
Dans le modèle, la consommation de viande, notamment de viande provenant d’animaux non ruminants, est réduite de 81 % par rapport à la consommation actuelle dans les pays scandinaves, mais la consommation de produits laitiers reste à peu près la même qu’actuellement. Les chercheurs ont estimé que 37 millions de personnes pourraient être approvisionnées si l’on utilisait ce scénario agricole, beaucoup plus que la population actuelle de 26 millions. Il entraînerait des émissions de gaz à effet de serre de seulement 0,48 tCO2e (tonnes d’équivalent dioxyde de carbone, une mesure qui permet la comparaison des émissions d’autres gaz à effet de serre par rapport à une unité de dioxyde de carbone) par régime alimentaire et par an.
Sources :
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Diaz S, Settele J, Brondizio E, et al. Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. 2019.
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Karlsson JO, Carlsson G & Lindberg M, et al. Designing a future food vision for the Nordics through a participatory modeling approach. Agronomy for Sustainable Development. 2018;38:59.
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Foley JA, Ramankutty N, Brauman KA, et al. Solutions for a cultivated planet. Nature. 2011;478(7369):337-42.
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Willett W, Rockström J, Loken B, et al. EAT-Lancet Commission Summary report: Food in the anthropocene: the EAT–Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems. Lancet. 2019;393(10170):447-492.
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WWF (UK). Eating for two degrees. 2017.
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Poux X, Aubert PM: IDDRI. An agroecological Europe: a desirable, credible option to address food and environmental challenges. 2018.
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Food and Agriculture Organization of the United Nations. Dairy development’s impact on poverty reduction. 2018.