Par Nathalie HUTTER-LARDEAU, nutritionniste, auteur et créatrice d’entreprises
Cette année, l’événement de la Société Américaine de Nutrition « Nutrition 2021 Live Online » s’est déroulé du 7 au 10 juin, offrant aux participants un accès aux dernières avancées de la science et de la nutrition par le biais de symposiums scientifiques et de programmes satellites sponsorisés.
L’un d’eux, intitulé « Equilibre entre la santé planétaire et la santé humaine : le rôle crucial de la biodiversité« , était organisé par l’initiative « Yogurt in Nutrition » et a offert à Fabrice DeClerck, Joël Doré et Heribert Hirt l’occasion de partager leurs recherches sur la façon dont les grands défis de la santé planétaire et humaine peuvent être relevés, en se concentrant sur le rôle central du microbiome.
One Health : preuves croissantes de l’interconnexion entre la planète, l’humain et la santé
Fabrice DeClerck, PhD, en poste chez Biodiversity International et la Fondation EAT, a débuté le symposium par un exposé intitulé « One Health : preuves croissantes de l’interconnexion entre la planète, l’humain et la santé ». Il a d’abord présenté les principaux défis alimentaires et planétaires et les approches pour les relever, en expliquant que nous devons prendre conscience que nous sommes entrés dans l’ère de l’Anthropocène, où l’humanité est responsable du plus grand impact sur la planète.
Ensuite, il a rappelé que les décisions que nous prenons au cours de cette décennie ont un impact énorme sur la planète. L’un des principaux défis consiste à tenter d’essayer de comprendre la relation entre la nourriture que nous mangeons, notre propre santé et celle de la planète. Les aliments que nous consommons, comment nous les consommons, la manière et l’endroit où nous les produisons, la façon dont nous traitons les déchets, auront des répercussions sur la santé humaine et celle de la Terre.
Comment savoir quels aliments consommer pour notre santé et celle de la planète ? Il faut d’abord déterminer ce qu’est une « alimentation saine ». Tout d’abord, chaque personne sur terre doit avoir accès à environ 2 500 kcal par jour. Ensuite se pose la question de la qualité de la composition de l’assiette, et d’accès à la diversité alimentaire. 2 milliards de personnes n’ont pas accès à suffisamment de nourriture, et 2 autres milliards peinent à trouver la diversité nécessaire pour la santé. Donner un accès à une alimentation saine à 4 milliards de personnes est un défi mondial majeur. Le manque de diversité alimentaire est devenu un risque moteur de mauvaise santé et une cause majeure de mortalité prématurée dans le monde (11 millions de décès par an). La transition vers des régimes alimentaires sains permettra d’offrir une meilleure qualité de vie à de nombreuses personnes.
Dans la deuxième partie de sa présentation, Fabrice DeClerck a parlé de la relation entre la consommation et la production alimentaire avec la santé planétaire, et le rôle crucial de la diversité. Nous devons comprendre quelles sont les limites environnementales de l’alimentation et quelles actions nous pouvons entreprendre.
La production alimentaire est à l’origine d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre, représente 80% de l’utilisation d’eau douce et 40% de la surface totale des terres dans le monde. L’Anthropocène, symbole de la crise de la biodiversité, conduit à la sixième extinction de masse. Nous commençons seulement à comprendre l’impact de cette extinction sur les microbiomes des humains et du sol.
Notre microbiome humain est unique : nous partageons 99% de notre génome avec l’humanité, mais moins de 0,1% de notre microbiome. Nous devons comprendre d’où vient notre microbiome et ce qui l’influence. La diversité alimentaire, par exemple, a un impact sur la composition du microbiome. La crise de la biodiversité n’est pas seulement une question de diversité des espèces microbiennes, elle affecte également leurs fonctions dans notre écosystème. Pour relever ce défi mondial, il est nécessaire de prendre en compte notre planète et nos besoins biologiques en matière de diversité pour maintenir des écosystèmes équilibrés.
Diversité du microbiome intestinal et le lien entre microbiote intestinal et santé
Joël Doré (directeur de recherche à l’INRAE et directeur scientifique de l’unité MetaGenoPolis), second intervenant du symposium de l’initiative Yogurt In Nutrition, a présenté une intervention intitulée « La diversité du microbiome intestinal et le lien entre microbiote intestinal et santé ». Cette intervention a confirmé l’importance du rôle joué par le microbiote intestinal humain dans la nutrition et la santé.
Selon les recherches, et comme l’a souligné Fabrice DeClerck dans son exposé, le microbiote intestinal est une véritable partie de nous-mêmes, comme le sont d’autres parties du corps telles que les cellules et les tissus.
L’être humain est une symbiose, un microbiome et un écosystème. La relation symbiotique commence dès la naissance, avec le développement de l’immunité et celui du microbiote. Chaque être humain interagit en permanence avec 50 000 000 000 000 de bactéries, aussi nombreuses que les cellules humaines, et nous portons en moyenne 600 000 gènes microbiens dans notre microbiome.
Ce que nous avons appris de la métagénomique du tractus intestinal humain est que la composition de chaque microbiote intestinal est unique, et que les différences peuvent être utilisées comme modèles prédictifs de maladies humaines telles que le diabète de type 2 ou l’obésité.
La médecine, les antibiotiques et la lutte contre les maladies infectieuses se sont développés au cours de la seconde moitié du 20e siècle. Parallèlement, nous avons assisté à une augmentation des maladies chroniques, un exemple étant l’autisme, dont la progression est exponentielle. Le point commun entre ces maladies chroniques est la modification de la composition du microbiote, appelée dysbiose qui consiste en la perturbation de la symbiose hôte-microbes.
Le microbiote est un acteur clé de l’obésité et des études ont également montré qu’un faible nombre de gènes microbiens – appelé paucibiose – est associé à des modifications des réponses métaboliques et inflammatoires, à la gravité et la progression des affections hépatiques aiguës, à la non-réponse d’une part à l’immunothérapie du cancer et d’autre part à la restriction calorique dans l’obésité.
L’espérance de vie en bonne santé dans le monde est menacée, 1 personne sur 4 sera concernée par une maladie chronique. Joël Doré recommande de repenser d’urgence la nutrition et la médecine préventive.
Les recherches récentes en nutrition mettent en évidence que, sous certaines conditions, une alimentation diversifiée et riche en fibres peut contribuer à rétablir la symbiose hôte-microbes. Ceci devrait conduire au développement de nouvelles méthodes pour étudier les maladies chroniques et la perturbation de la symbiose hôte-microbe causée par ces maladies.
Diversité du microbiome et le lien entre le microbiome du sol, l’alimentation et la santé des plantes
Le symposium a été clôturé par Heribert Hirt, professeur de génétique et directeur de recherche à l’Université des sciences et technologies King Abdullah (Arabie Saoudite). L’exposé du Professeur Hirt portait sur l’importance de la diversité du microbiome et le lien entre le microbiome du sol, l’alimentation et la santé des plantes. Il a expliqué que de nombreux parallèles peuvent être établis entre le sol et la santé humaine. Le microbiote intestinal est directement influencé par notre environnement, et notre mode de vie. Parmi les facteurs qui influencent la composition de notre microbiome, l’activité physique, le vieillissement, la géographie, le mode de naissance (voie basse ou césarienne) et l’alimentation vont modifier sa composition. Selon Heribert Hirt, une alimentation saine permet d’avoir des microbes sains, et donc des humains en bonne santé.
Jusqu’à présent, nous considérions qu’une alimentation saine devait être composée de fibres, de vitamines et de minéraux, mais en oubliant qu’elle doit également être riche en microbes ! Nous ignorions que chaque aliment et chaque plante possède son propre microbiome. Les humains, les plantes, les arbres sont habités et couverts de microbes.
Le sol est la source de vie la plus riche de notre planète. Les semences héritent leurs microbiomes individuels de leurs plantes mères. Chaque graine, une fois plantée, sera exposée au microbiome du sol où elle va grandir. Les plantes sont intelligentes, car elles recrutent les microbes dont elles ont besoin dans les sols. Ainsi, des sols sains donnent des plantes saines, et ces plantes saines donnent des aliments sains, riches en bons microbes.
Nous devons donc faire attention aux défis chimiques auxquels font face les microbiomes des sols, des plantes et de l’Homme. L’utilisation massive de pesticides et d’herbicides en agriculture remet en cause la vie des microbes dans le sol, dans les plantes et donc dans l’intestin. Les pesticides compromettent le sol et les communautés végétales. Le Pr. Hirt a soulevé l’importance d’avoir une alimentation riche en microbes et dépourvu autant que possible de pesticides. Par conséquent, nous devons travailler sur des sols sains et une agriculture saine, qui sont la base d’une alimentation saine, d’un environnement sain et de la santé humaine. Nous devons travailler sur le concept d’ « une seule Terre » : les microbiomes sont des acteurs essentiels de la santé végétale, animale et humaine.
En conclusion
Pour conclure, en tant que nutritionniste et comme l’ont fait les intervenants, je tiens à souligner le rôle que joue l’alimentation dans le maintien d’une bonne santé, et notamment les effets positifs d’une alimentation riche en fibres et diversifiée qui peut contribuer à rétablir la symbiose bénéfique de notre microbiome. Manger varié contribuera à maintenir la biodiversité, nécessaire au maintien d’écosystèmes équilibrés. Des sols sains donnent des aliments sains et des humains sains. Ces grands défis sanitaires et planétaires peuvent être relevés aujourd’hui en tenant compte du rôle central du microbiome dans le cadre d’un concept de « One Health ».